Mathieu Mucherie aborde les perspectives de l’économie mondiale pour 2020
Mathieu Mucherie, Chef économiste chez BNP Paribas Cardif, aborde les perspectives 2020 de l’économie mondiale après en avoir dressé le bilan 2019.
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Selon Mathieu Mucherie, 2020 pourrait être une année intéressante, si certaines contradictions des dernières années sont résolues :
- le décalage temporel entre une vision long-termiste du marché et de nombreuses métriques encore très court-termistes (comme les primes de risque, le taux d’actualisation).
- l’engouement toujours présent pour la diversification des placements, dans plusieurs classes d’actifs. - la Japonisation des taux (déflation et taux d’intérêts nuls) face à un mouvement assez optimiste sur les actions.
Face à ces contradictions, Mathieu Mucherie souligne qu’un effort des autorités publiques est indispensable pour réaligner les horizons temporels et la géopolitique.
Notre chef économiste nous rappelle que 2020 sera une année électorale pour les Etats-Unis. Selon lui, il y aurait 50 % de probabilités d'arrivée du socialisme aux États-Unis, une première qui pourrait être défavorable aux marchés actions; les États-Unis représentant 62 % de la capitalisation boursière mondiale.
Pour conclure ce podcast, Mathieu Mucherie évoque les tensions entre les États-Unis, la Chine, et dont l'Europe a eu à subir quelques conséquences et nous fait partager sa théorie.
L'intégralité du podcast de Mathieu Mucherie est retranscrit ci-dessous :
[00:00:08] Gilbert Roux : Nous avons fait le bilan, la situation économique globale en 2019. Il est bien évident que ce deuxième podcast est consacré aux perspectives, à l'avenir, à 2020. Pour y voir plus clair bien entendu, nous avons à nouveau fait appel à Mathieu Mucherie, qui est chef économiste chez BNP Paribas Cardif. Bonjour Mathieu.
[00:00:24] Mathieu Mucherie: Bonjour.
[00:00:25] Gilbert Roux : Merci d'être revenu au micro. Mathieu, je le disais dans le premier podcast, pour ceux qui ne l'ont pas encore entendu, je les invite à l'écouter ou le réécouter dans ce premier entretien que nous avons eu, on parle d'une année 2019 assez triste. Vous disiez même que c'était une année très ennuyeuse. Est-ce qu'il va y avoir des impacts sur 2020 ? Quels sont plutôt, selon vous, les points sur lesquels il va falloir être vigilant et porter une attention particulière en 2020 ?
[00:00:47] Mathieu Mucherie: Alors 2020 pourrait être éventuellement une année intéressante, si et seulement si, les contradictions des dernières années sont résolues ou dépassées ou en tous les cas, au moins, adressées. La première contradiction, c'est le décalage temporel. On a un marché qui nous dit que les taux sont négatifs. Donc, quelque part, on a un marché qui nous demande d'être plus long-termiste. Or, il se trouve qu'encore beaucoup de métriques de marchés sont très court-termistes. Par exemple, les primes de risque, par exemple, le taux d'actualisation. Parfois certains acteurs utilisent encore un taux d'actualisation hyperbolique. Ça, c'est une contradiction. Le marché qui supporte une vision long terme, quelque part, on a vu avec la valorisation d'Amazon ou de tout un tas d'autres titres. Dans le même temps, des pratiques comptables, au quotidien, qui restent très seventies, très court-termistes. C'est une contradiction. Or, les taux ne sont plus à 10 %, ils sont à zéro.
La deuxième contradiction, c'est qu'on nous dit qu'on est dans une économie superstar avec quelques firmes, qui l'emportent, qui raflent tout, qui sont hyper efficientes quelque part, notamment avec l'intelligence artificielle, bientôt, avec les logiciels déjà. D'un autre côté, même si on sait que seuls quelques acteurs raflent tout, on continue cette religion de la diversification où, finalement, on investit dans plusieurs classes d'actifs et à chaque fois avec 200 lignes par classe d'actifs. C'est une contradiction. Soit on croit effectivement à ce mouvement de polarisation extrême avec quelques firmes. Mais dans ce cas-là, on fait plutôt du stock picking ou en tous les cas, on fait de la sélection et de la discrimination, ou alors, on reste dans cette religion de la diversification extrême Markowitz etc. Dans ce cas-là, qu'on n'ait pas ce discours sur les nouvelles technologies qui vont tout bouleverser et cetera. Puis, il y a d'autres contradictions, notamment, je vous en parlais, cette contradiction qu'il y a entre un mouvement de Japonisation sur les taux et un mouvement finalement encore assez complaisant, voire parfois carrément optimiste sur les actions.
Toutes ces contradictions et je pourrais multiplier, il y en a encore plusieurs, j'espère qu'elles seront progressivement adressées en 2020. C'est indispensable. D'abord sur le plan cognitif, pour notre bien-être, parce qu'on devient parfois un peu schizophrène sur les marchés. C'est indispensable pour que les choses se passent mieux. On ne peut pas continuer avec une économie qui, par exemple, dénigre la Chine tout en profitant de la Chine, qui profite des taux d'intérêts négatifs, mais uniquement pour faire de l'immobilier, ce genre de choses. Il va falloir progressivement que ces thèmes-là soient résolus quelque part. En tous les cas, il y a un effort des autorités publiques qui est indispensable pour réaligner les intérêts finalement, réaligner les horizons temporels et réaligner aussi un petit peu la géopolitique. Parce que ces dernières années, on a été quand même un petit peu ralenti par ce facteur-là qui génère beaucoup d'incertitudes pour très peu de gains. C'est une année, vous savez, 2020 qui est une année électorale américaine, donc nous aurons, j'espère, de ce point de vue-là, peut-être des changements.
[00:03:57] Gilbert Roux : Justement, cette année électorale peut modifier totalement l'économie mondiale ?
[00:04:00] Mathieu Mucherie: Oui. C'est très curieux parce que Elizabeth Warren, était en tête il n’y a pas longtemps dans les sondages aux États-Unis. Là, c'est un petit peu moins le cas. Enfin, elle est quand même assez haute. Elle pourrait bénéficier des voix de Sanders. On pourrait très bien imaginer une course pendant toute l'année 2020 entre Trump et Warren, par exemple. C'est quelque chose qui est probable et dans ce cas-là, ça nous donnerait 50 % de probabilités d'arrivée du socialisme aux États-Unis à horizon du mois de novembre. Ce qui n'a jamais existé puisqu'il n'y a jamais eu de pouvoir socialiste aux États-Unis. Quelque part, ça c'est normalement très défavorable aux marchés actions. Le Parti démocrate est devenu plus protectionniste. Il est devenu plus écologiste. Ça c'est tout nouveau pour les États-Unis. Mais le problème c'est que les États-Unis c'est 62 % de la capitalisation boursière mondiale. Il suffit d'un petit tremblement politique à Washington du côté de la FED (Federal Reserve System, banque centrale des Etats-Unis) ou du côté de la Maison-Blanche et c'est l'ensemble, c'est les deux tiers des actions qui vacillent, les actions les plus directionnelles. C'est là-bas que ça se fabrique le marché des actions. C'est à Washington. C'est à New York. Évidemment c'est très perturbant parce qu'on a par exemple en Europe une très forte corrélation avec les indices américains. Il suffit qu'on ait pendant six mois une propagande médiatique sur le thème 50 % de probabilités de l'arrivée d'un candidat socialiste à la Maison-Blanche pour que les choses deviennent très compliquées pour les actions parce qu'elles sont chères, parce qu'on est en fin de cycle et parce qu'effectivement on est peut-être à la fin d'un mouvement de tax cut tous les deux ans aux États-Unis.
[00:05:33] Gilbert Roux : Mathieu nous sommes arrivés au terme de cet entretien, ce podcast consacré au bilan de l'économie mondiale. En guise de conclusion, je voudrais qu'on revienne quelques instants sur ce qui a beaucoup occupé notre année 2019. C'est cette tension entre les États-Unis, la Chine, et dont l'Europe a eu à subir quelques conséquences. 2020 pour vous ça va se passer comment tout ça ?
[00:05:52] Mathieu Mucherie: Évidemment c'est totalement hasardeux, puisqu'on n'est pas dans la tête des différents acteurs. On ne connaît pas exactement leur fonction de réaction, et puis c'est une année électorale.
Je vais juste hasarder une théorie personnelle. Je trouve que sur les marchés en Occident on fait beaucoup trop cas de notre opinion, de notre fonction de réaction, de nos objectifs, de nos contraintes. On a à faire à la Chine, qui sera la première puissance économique dans 10 ans, qui l'est déjà depuis deux-trois ans en termes de parité de pouvoir d'achat, qui le sera en dollar courant dans moins d'une décennie. C'est un acteur puissant. Il n'y a pas d'élection en Chine. Ils ont une bonne partie du corps social derrière eux pour ce qu'on en sait. Ils ne sont pas spécialement nationalistes. Ils sont très patriotes. Ils ont l'impression d'avoir un bon dossier parce que c'est vrai que le dossier américain est vide. On l'a déjà dit sur l'affaire Huawei le dossier est vide, sur l'affaire des fameuses manipulations de taux de change le dossier est vide.
Les Chinois sont persuadés qu'ils sont dans leur droit quelque part, que tout cela est profondément une efficience, ce qui est vrai quand on est économiste. On le reconnaît. Les Chinois se disent on a du temps. On est capable d'endurer, même pas mal. On va continuer à faire le gros dos. Peut-être qu'il y aura un accord partiel, mais on ne le respectera pas, ou en tous les cas la guerre repartira très vite après. Du coup le potentiel de déception pour le marché est assez important. Le marché a une vision un peu iréniste, un peu traditionaliste des accords commerciaux. Les Chinois finalement sont beaucoup plus forts qu'on ne le croit. Ils ont une autre vision du temps. Je ne serais pas étonné que ce dossier rebondisse. Peut-être un accord partiel effectivement, mais ça va rebondir et peut-être très fortement. Ne jamais sous-estimer la partie chinoise qui a ses propres intérêts, qui a son propre timing et qui n'a pas du tout l'intention de se laisser dicter le timing et les conditions par l'Occident.
Du coup, c'est là aussi une source d'inquiétude pour la valorisation de tout un ensemble d'entreprises qui, aujourd'hui, sont un peu chères, mais qui dépendent quand même assez crucialement de la croissance chinoise et de l'ouverture des marchés. D'un côté, c'est les Chinois qui n'ont pas envie de tuer la poule aux œufs d'or, mais dans le même temps, qui ont envie de se faire respecter, et qui ont une autre vision du temps. Ils peuvent supporter cinq années supplémentaires de ralentissement. Ce qui n'est pas possible dans nos démocraties.
[00:08:21] Gilbert Roux : Très bien Mathieu Mucherie. Merci en tout cas ça nous donnera l’occasion d'avoir le plaisir de vous retrouver.
[00:08:23] Mathieu Mucherie: C'était une tentative. On ne sait pas exactement de quoi sera fait 2020, mais c'est ma différence par rapport au consensus.
[00:08:33] Gilbert Roux : Toujours difficile effectivement de faire des prévisions comme cela. Merci. Vous reviendrez au micro de l'Info en Plus pour nous en parler. Merci
[00:08:39] Mathieu Mucherie: Merci bien.