05/06/25 - Article 774 bis du CGI et durcissement de la fiscalité du quasi-usufruit
Gilbert Roux : Ce numéro des #RDVExperts s'intéresse à l'article 774 bis du Code général des impôts qui, dans le cadre de la loi de finances pour 2024, a considérablement durci le régime fiscal du démembrement de propriété applicable aux opérations de quasi-usufruit sur des sommes d'argent. Je reçois aujourd'hui un expert de la question : il s'agit d'Alexandre Plat. Bonjour Alexandre, bienvenue dans ce podcast. Alors Alexandre, vous êtes ingénieur patrimonial chez BNP Paribas Cardif et c'est votre tout premier podcast #RDVExperts avec nous. Commençons, si vous le voulez bien, par nous rappeler en quoi consiste un quasi-usufruit.
Qu’est-ce qu’un quasi-usufruit ?
Alexandre Plat : Le Code civil prévoit deux formes de démembrement de propriété. Tout d'abord, il y a le démembrement simple, qui est la situation où l'usufruitier ne dispose que d'un droit d'usage et d'un droit aux fruits sur le bien démembré. Il y a d'autre part le quasi-usufruit, situation où l'usufruitier va véritablement pouvoir agir comme un plein propriétaire, dans la mesure où le démembrement porte sur un bien dont l'usage implique nécessairement qu'il soit consommé, l'exemple le plus courant étant une somme d'argent. Dans cette configuration, le nu-propriétaire est simplement titulaire d'une créance de restitution à l'encontre de l'usufruitier et au décès de ce dernier, le nu-propriétaire sera donc remboursé en imputant cette créance au passif de la succession de l'usufruitier.
Gilbert Roux : Et c'est donc ce fameux article 774 bis du Code général des impôts qui a modifié assez significativement les démembrements en quasi-usufruit. C'est bien ça ?
Quelles sont les modifications apportées par l’article 774 bis du Code général des impôts quant aux opérations de démembrement en quasi-usufruit ?
Alexandre Plat : En effet, ce nouveau texte met fin à la déductibilité de certaines créances de restitution. En fait, cela va concerner deux types d'opérations : on va avoir les quasi-usufruits sur des sommes d'argent pour lesquels le défunt s'était réservé un usufruit. Donc là, il s'agit de viser en fait les donations qui portent directement sur des sommes d'argent avec réserve de quasi-usufruit par le donateur. D’autre part, sont également visés les quasi-usufruits créés sur le produit de cession d'un bien qui faisait préalablement l'objet d'un démembrement simple, sauf, et c'est ce que nous indique le texte, à démontrer que l'opération ne poursuit pas un but principalement fiscal. Pour ces opérations, la créance de restitution ne sera plus déductible de la succession de l'usufruitier et le nu-propriétaire sera par ailleurs taxé aux droits de succession sur la valeur de la créance de restitution, en tenant compte de son lien de parenté avec l'usufruitier. On comprend que la volonté du législateur ici, c'est de mettre fin tout simplement à l'intérêt fiscal que pouvait présenter de telles opérations.
Gilbert Roux : A partir de quel moment, à partir de quelle période cette mesure est-elle appliquée ?
A partir de quand cette mesure est-elle appliquée ?
Alexandre Plat : Le texte indique que sont concernées les successions ouvertes à compter du 29 décembre 2023. Donc, ce qu'il est très important de comprendre, ce n'est pas la date à laquelle est intervenue la création du quasi-usufruit qui importe mais la date à laquelle va s'ouvrir la succession. Autrement dit, les opérations concernées seront les quasi-usufruits pour lesquelles l'usufruitier est décédé postérieurement à cette date du 29 décembre 2023.
Gilbert Roux : Est-ce qu'on peut en déduire, finalement, quand on vous écoute, qu'il n'y a plus vraiment d'intérêt d’un point de vue fiscal sur les quasi-usufruits qui concernent les sommes d'argent ? Et est-ce que les clauses bénéficiaires démembrées en assurance vie sont aussi concernées par cet article ?
Les quasi-usufruits qui concernent les sommes d'argent présentent-ils encore un intérêt fiscal ?
Alexandre Plat : À la suite de l'entrée en vigueur de ce texte, l'administration fiscale par son BOFiP (bulletin officiel des finances publiques) du 26 septembre 2024, est venue publier ses commentaires et apporter une précision importante concernant la pratique du quasi-usufruit sur les clauses bénéficiaires des contrats d'assurance vie. L'administration fiscale indique que sont exclues du champ d'application de l'article 774 bis du Code général des impôts, les clauses bénéficiaires démembrées des contrats d'assurance vie pour lesquelles il est institué un quasi-usufruit au profit du bénéficiaire, rappelant ainsi que, du fait du mécanisme de la stipulation pour autrui, le défunt ne se réserve ici aucun usufruit. Une telle stratégie conserve tout son intérêt.
Gilbert Roux : Prenons un autre exemple. On va parler de rachat en quasi-usufruit sur les contrats d'assurance vie et de capitalisation qui ont été co-souscrits en démembrement. Est-ce que ce fameux article 774 bis du CGI a un impact dans ce cas-là ?
L'article 774 bis du CGI a-t-il un impact en cas de rachat en quasi-usufruit sur les contrats d'assurance vie et de capitalisation co-souscrits en démembrement ?
Alexandre Plat : En principe, s'agissant d'un démembrement simple, une telle opération ne rentre pas dans le champ d'application de l'article 774 bis du Code général des impôts. En revanche, s'il est décidé par les parties que l'usufruitier pourra effectuer un rachat sous forme de quasi-usufruit, alors l'opération sera susceptible de tomber dans le champ d'application de l'article 774 bis du Code général des impôts, sauf encore une fois à démontrer que l'opération ne poursuit pas un but principalement fiscal. Le BOFiP du 26 septembre 2024 est venu préciser que l'absence de but principalement fiscal pouvait être démontré par un faisceau d'indices tels que le temps qui s'est écoulé entre le démembrement de propriété et la mise en place du quasi-usufruit. On comprend que, plus il s'est écoulé un certain temps, plus le but principalement fiscal sera écarté. La doctrine de l'administration fiscale nous indique également que cette durée peut être appréciée à la lumière de la variation à la baisse de la valeur des biens démembrés,en prenant l'exemple d'un contrat de capitalisation qui sera investi sur des unités de compte, et pour revenir à la question du délai, les praticiens s'accordent sur une période entre un et trois ans. Deuxième critère, ce peut être les motivations patrimoniales qui justifient la création d'un quasi-usufruit, tel que le financement de dépenses d'hébergement pour l'usufruitier lorsque ce dernier ne bénéficie pas des liquidités nécessaires. Dernier critère, ce peut être aussi le degré de latitude de l'usufruitier à décider du report du démembrement sur le produit de cession. Autrement dit, plus le nu-propriétaire pourra démontrer l'exercice de ses droits, non seulement quant à la cession du bien et le report du démembrement sur le produit de cession, plus il pourra être démontré que l'opération ne poursuit pas un but principalement fiscal. J'attire l'attention sur le fait que concernant les contrats d'assurance vie et de capitalisation, nos conventions de démembrement, prévoient bien cet accord du nu-propriétaire en cas de rachat au-delà de la valorisation du contrat.
Gilbert Roux : Il y aura encore certainement beaucoup de choses à dire, mais nous arrivons au terme de ce podcast. Alexandre, un dernier mot de conclusion ?
Alexandre Plat : L'important effectivement, c'est la bonne rédaction des conventions de démembrement afin de matérialiser, de tracer l'intention des parties. Nous mettons à votre disposition ces documents via votre espace partenaires Finagora et le Chatbot Lia.
Gilbert Roux : Excellent conseil et rappelons également, Alexandre, que nos partenaires CGP courtiers peuvent s'adresser aussi à leur Chargé de Partenariat Régional pour avoir de plus amples informations et se mettre en relation avec vous et le service ingénierie patrimoniale. C'était un plaisir de vous recevoir aujourd'hui, pour cette première. Je vous dis merci et à bientôt.